Photo: Lam Yik Fei pour The New York Times
Les « Tête-à-tête » de l’Observatoire des droits de la personne du Cérium sont des entretiens avec des personnes travaillant de près ou de loin dans le domaine des droits humains. Des questions-réponses qui nous apportent des données précieuses dans le monde académique francophone canadien avec un regard sur les enjeux liés aux droits de la personne à travers le monde ! Pour ce deuxième épisode, nous accueillons Athena Kerin Tong, activiste hongkongaise d’origine qui a participé aux manifestations de 2019 contre la loi sur la sécurité nationale à Hong Kong. Elle est également diplômée de Sciences Po Paris en Sciences Sociales et Humanités et d’une Maîtrise en Communication Politique à l’Université de Londres. Aujourd’hui, elle occupe la fonction de chercheuse et spécialiste académique à Todai, la prestigieuse Université de Tokyo au Japon. Elle œuvre activement pour soutenir la cause des Hongkongais depuis l’étranger, tout comme son mari qui fut élu au conseil de ville lors des élections de 2019 ; elle risque d’être arrêtée et emprisonnée si elle rentre à Hong Kong. Athena Tong a accepté de nous offrir une entrevue exclusive qui vise à aider les étudiants francophones en Occident à comprendre les enjeux passés, présents et futurs pour les Hongkongais.
Avant l’entrée en vigueur de la loi sur la sécurité nationale, quels facteurs garantissait le respect des droits humains à Hong Kong ?
Le respect des droits humains n’a jamais été parfait à Hong Kong, mais on peut en dire autant de la majorité des pays dans le monde. En termes de législation, Hong Kong possède la Charte des Droits (Bill of Rights), qui incarne la garantie des droits civils et politiques des Hongkongais ainsi que leur liberté de parole et de déplacement. La Déclaration universelle des droits de l’homme fait partie de la Bill of Rights de Hong Kong. La réforme du corps policier a également contribué à ce que les autorités respectent l’État de droit imposé par la Charte des Droits (Bill of Rights) et la ICAC (Independent Commission Against Corruption). Surtout durant la période des années 90 jusqu’en 2014, il y avait des répercussions législatives si les droits humains n’étaient pas respectés. Bien sûr, en 2014 avec le mouvement des parapluies et en 2019 avec les manifestations, les policiers n’ont pas respecté la Charte des Droits.
Quelles sont les raisons ayant conduit à la défaite des manifestants pendant ce conflit, et le gouvernement chinois a-t-il réussi à atteindre ses objectifs ?
Par rapport à l’échec du mouvement, le fardeau psychologique est une cause importante. Beaucoup de jeunes ont été arrêtés ou tués, ce qui a créé un épuisement chez les manifestants. L’autre élément serait le COVID-19, qui a forcé le mouvement à s’arrêter brusquement en 2020 en raison du confinement imposé. L’application de la loi sur la sécurité nationale a évidemment aussi contribué, surtout que celle-ci signifie qu’une grande partie de la société civile était désormais inexistante. Le mouvement était désormais laissé aux mains des individus, puisque des organismes tels qu’Amnistie Internationale et Human Rights Watch ne pouvaient plus opérer efficacement à Hong Kong dans ces circonstances. Ce qui rendait extrêmement difficile de continuer à soutenir le mouvement.
Quant aux objectifs du gouvernement chinois, je ne peux que spéculer qu’ils désiraient des citoyens obéissants à Hong Kong ou l’arrivée de citoyens de la Chine continentale dont les valeurs acceptent mieux ce genre de régime. Bien sûr, beaucoup de Hongkongais sont dans l’obligation de rester à Hong Kong en raison de leurs familles dont ils s’occupent ou de leur travail important, ce qui fait qu’ils tolèrent la nouvelle loi sans pour autant y adhérer. Donc cet objectif n’est pas atteint. Mais pour l’autre objectif, qui est de diluer la population avec l’arrivée de Chinois continentaux qui adhèrent au régime, c’est un peu plus réalisé. Tellement de Hongkongais sont partis suite aux événements, 200 000 est le nombre officiel, mais comme beaucoup de Hongkongais possèdent d’autres nationalités, le véritable nombre est certainement encore plus grand. On ne dit pas qu’on quitte pour toujours, et on n’espère pas que cela soit le cas, mais c’est ce sur quoi la situation semble s’aligner.
La loi sur la sécurité nationale semble n’être qu’une étape en direction inverse de la démocratie. Quelles seront les prochaines étapes que le gouvernement chinois prendra à l’égard des Hongkongais ?
D’abord, John Lee, l’actuel Chef de l’exécutif à Hong Kong, a annoncé que l’article 23 serait sa priorité. L’article avait été proposé en 2003, mais n’avait pas été adopté à l’époque. Cependant, avec l’état actuel des choses, je ne vois plus ce qui pourrait l’arrêter. Il y a aussi le fait qu’ils ont arrêté autant de journalistes et fait fermer tant d’agences de nouvelles, renforçant énormément leur contrôle sur l’accès aux informations pour les citoyens, même sur Internet et les réseaux sociaux. On peut ajouter en plus les projets de loi pour empêcher le financement participatif, indiquant que si vous voulez financer les mouvements démocratiques, cela devra être approuvé d’abord par le gouvernement. Cela aura un effet sur la démocratie hongkongaise, car on ne manifeste pas seulement avec nos actions, mais aussi avec notre argent.
Je pense que cette dernière partie est moins rapportée par les médias occidentaux, mais nous avons ce qu’on appelle une « économie jaune » (Yellow Economy), où nous disposons d’un répertoire des différents commerces partageant des valeurs similaires aux nôtres (les Hongkongais pro-démocratie). Nous préférons choisir de soutenir ces commerces plutôt que ceux qui soutiennent ouvertement le régime, maintenant ainsi l’argent dans ces commerces. Par exemple, si je vais dans une salle d’entraînement, je peux en choisir une dont le propriétaire soutient les valeurs démocratiques. Cela envoie le message de qui nous considérons comme plus méritant de recevoir notre argent.
Quel scénario plausible vous semble le plus inquiétant pour l’avenir, que ce soit pour vous, votre famille, ou les Hongkongais en général ?
Ma plus grande crainte serait d’être coupée de l’accès aux informations. De la même façon que la génération de mes grands-parents a vécu la Révolution culturelle. Bien sûr, ils n’avaient pas Internet et les réseaux sociaux. Durant cette époque, une partie de leur famille était coincée en Chine continentale, tandis qu’une autre partie a pu en sortir et s’installer à Hong Kong ou à Macao. Ils étaient coupés de tout contact pendant des décennies et lorsqu’ils se sont retrouvés de nouveau, ils avaient considérablement vieilli. Même si l’on a accès à Internet actuellement, j’ignore si les réseaux sociaux communs comme Meta ou X / Twitter vont rester opérationnels à Hong Kong. Ils pourraient décider de quitter la ville ou même de se joindre à l’environnement contrôlé des réseaux sociaux tels que Weibo ou WeChat. Ces réseaux sociaux deviendraient un environnement dangereux pour moi.
La censure généralisée est ce que je crains le plus, surtout parce que sur Weibo ou WeChat, les informations que l’on s’envoie entre proches sont surveillées de près. Cela pourrait mettre en danger les membres de nos familles qui sont encore en Chine. Par exemple, ils pourraient accuser nos familles de soutenir un groupe dissident et les arrêter ou les faire disparaître complètement, comme cela s’est déjà produit par le passé.
Quelles méthodes, violant les droits humains, le gouvernement chinois a-t-il employé contre les Hongkongais, aussi bien sur le plan national qu’international ?
Leur outil principal demeure la loi sur la sécurité nationale, ou la menace de son usage. Contrairement à d’autres lois, telles que celles contre la sédition, elle proclame une juridiction mondiale. Cette loi peut accuser une personne de collaborer avec les forces étrangères, même pour des actions qui ne se déroulent pas sur le sol chinois.
Les autorités ont mis une prime sur la tête de 8 activistes. Comme ils ne peuvent pas simplement forcer ces activistes à rentrer à Hong Kong pour subir un procès, ils vont harceler leurs familles, arrêter leurs proches pour des interrogatoires. Si jamais l’un de ces 8 revenait à Hong Kong, ils seraient également arrêtés pour avoir enfreint la loi sur la sécurité nationale.
Pour nommer des exemples qui ont eu lieu durant les manifestations de 2019, il y avait le cas d’un jeune homme qui s’est fait tirer dessus par la police et a survécu. Mais c’est lui et non pas le policier qui a été poursuivi ensuite, et il a reçu une peine de prison de 47 mois. Il y a aussi des allégations de sources crédibles selon lesquelles ceux qui se font arrêter sont très souvent humiliés par la police, incluant de la violence physique et verbale. Les agents vont parfois traiter les manifestantes de prostituées en disant qu’elles travaillent pour les manifestants masculins. Ils vont aussi effectuer des fouilles à nu sur le corps des manifestants, tout en ajoutant des commentaires dégradants sur le corps de ces derniers. Les policiers utilisent un langage très vulgaire et cherchent à attaquer la pudeur des femmes.
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Pourriez-vous nous décrire la situation actuelle des Hongkongais qui ont subi des répressions ?
Je répondrais en établissant d’abord deux catégories : ceux qui vivent toujours à Hong Kong et ceux qui en sont partis. Pour ceux qui sont restés, beaucoup d’activistes attendent toujours leur procès et ont été détenus il y a déjà plus de 3 ans sans vraiment savoir quand leur détention s’arrêtera. Et s’ils osent faire des remarques critiques contre le régime ou tout acte de rébellion, ils peuvent même se retrouver en isolement. Ce sont probablement les victimes de répression qui souffrent le plus actuellement.
Pour le reste d’entre nous qui sommes en exil, même si nous sommes partis, il y a la peur omniprésente que notre famille puisse être ciblée. Mais pour nous, si jamais on parle publiquement pour soutenir la démocratie, il se peut que l’on se fasse dénoncer à l’ambassade chinoise du pays où nous habitons et on n’est jamais réellement certain de ce qu’il pourrait nous arriver. La loi sur la sécurité nationale est très vague et flexible pour poursuivre les individus, ce qui rend le tout terrifiant en raison des nombreuses zones d’ombres. C’est encore pire pour les activistes qui ont une prime sur leur tête, leurs biens peuvent aussi être soudainement confisqués.
Pensez-vous que les manifestations de 2019 sont comparables aux événements de Tiananmen en 1989 ?
J’hésiterais à faire une comparaison directe, simplement parce que l’incident de 1989 a été très manifeste en termes de violence et de morts. C’était une répression très facile à saisir à travers les photos prises, tandis que la violence de la répression contre les Hongkongais est beaucoup plus cachée. Une grande partie de la répression s’est produite sous forme juridique, à travers les procès, ce qui n’a pas l’air aussi barbare lorsque l’on en regarde les images. 1989 était un grand avertissement au monde entier de ce que Beijing est capable de faire, et j’ose espérer que les événements de Hong Kong en 2019 auront les mêmes effets. Cependant, les répressions ne sont pas aussi illustrées. Il faut connaître plus en détail les normes des droits humains dans le monde pour bien comprendre, et cela requiert une discussion beaucoup plus approfondie sur le sujet pour que les gens puissent se faire leur propre avis, tandis qu’en 1989, c’était beaucoup plus apparent que le régime était en tort avec le nombre de morts et les tanks qui ont déferlé à travers la ville.
On peut cependant mentionner quelques similarités, comme la forte participation des étudiants en plus d’une solidarité répandue chez les jeunes. De plus, la démocratie en tant que partie centrale de la société est une valeur commune aux deux manifestations.
Certaines personnes à Hong Kong soutiennent davantage le gouvernement. Quel a été leur rôle dans ce conflit ?
Comme ce sont des individus qui bénéficient des changements actuels, ils sont restés à Hong Kong. Bien sûr, certaines personnes considèrent les actions du gouvernement comme étant légitimes, mais combien sont-ils réellement et s’ils soutiennent véritablement ou font semblant sont d’autres questions dont il faut se poser. Surtout qu’en juin 2019, les médias contrôlés par l’État ont prétendu qu’il y avait plus de Hongkongais qui soutiennent le gouvernement que de pro-démocrates, alors qu’en réalité, si on prend toutes les données en compte, on voit que ce n’est pas le cas. Je dirais que les personnes qui soutiennent le gouvernement ont surtout servi à l’appareil de propagande du régime, surtout si leur comportement est authentique.
Pensez-vous que les Hongkongais auraient dû bénéficier d’un soutien accru de la part des Chinois continentaux et que cela aurait pu modifier l’issue de la situation ?
Cela n’aurait pas été très possible, puisqu’une importante partie du mouvement est indépendantiste et localiste. Je crois que la plupart des activistes en Chine continentale ne soutiendraient pas l’indépendance de Hong Kong. Tout le monde n’est pas forcément en faveur de l’indépendance de Hong Kong dans le mouvement, mais ceux qui prônent l’indépendance sont très nombreux. Je ne pense pas que les activistes en Chine continentale voudraient soutenir ces idées.
Cependant, avec les manifestations de 2022 contre le confinement (White Paper Protests), on peut voir que la dynamique entre le peuple et le régime commence à changer en Chine continentale. Bien qu’on n’y ait pas vu un grand changement, outre la fin du confinement forcé et des mesures Covid-zéro, je pense qu’il s’agit tout de même d’une démonstration importante de la frustration des citoyens en Chine et de l’ampleur répandue de ces sentiments. On n’était pas aussi bien documenté auparavant sur ce sujet. Mais en fin de compte, les deux mouvements demeureront sans doute séparés (le mouvement pro-démocratie à Hong Kong et celui en Chine continentale).
Lors des manifestations, vos demandes n’ont finalement pas été entendues. Si vous aviez l’opportunité d’être entendu par le gouvernement chinois sur un pied d’égalité, quelles seraient vos revendications et que demanderiez-vous pour vous en assurer la garantie ?
Personnellement, j’ai toujours défendu le droit à l’autodétermination. Je ne crois pas pouvoir prétendre dire comment Hong Kong devrait être en termes de système. Mais le moins que l’on puisse demander, en tant que peuple, est le droit de voter et de décider comment le système devrait être. Hong Kong a été retirée de force de la liste des colonies lorsque la République Populaire de Chine a rejoint les Nations unies. On n’a jamais eu la chance de voter pour choisir notre propre souveraineté, on ne nous a jamais demandés si on préférait rester avec le Royaume-Uni ou rejoindre la Chine. La conversation a eu lieu entre la Chine et le Royaume-Uni seulement. Alors, ma demande principale serait que les Hongkongais aient le droit à une voix dans la décision de leur sort.
Mais comment pourrait-on garantir ces droits ? Nous avions un traité co-signé entre la Chine et le Royaume-Uni, sous la supervision des Nations Unies. Mais maintenant, la Chine insiste qu’il s’agit d’un traité historique qui n’a plus d’importance dorénavant. Donc, ces demandes seraient uniquement faites dans la présomption qu’ils respecteraient ces droits, car sinon, il n’y a aucune garantie ; ils ont déjà violé tellement d’accords et de traités internationaux.
Propos traduits depuis l’anglais et parfois reformulées par Simon Liu