Tête-à-tête avec Miriam Cohen : La justice internationale et son évolution

Photo: Remko de Waal avec Agence France-Presse

Comment évolue pour vous actuellement la justice internationale ?

Tout d’abord, merci beaucoup de m’avoir invité, ça me fait plaisir d’être là avec vous pour pouvoir discuter des questions qui m’intéressent beaucoup, qui me tiennent à cœur. En fait, ça dépend de la conception d’une justice internationale. On peut concevoir la justice internationale comme étant la justice pénale internationale, alors la poursuite des différents crimes internationaux que ce soit des crimes de guerre, crime contre l’humanité, génocide ; et là il y a la Cour pénale internationale, puis aussi d’autres mécanismes. On parle souvent des mécanismes pour les crimes d’agression comme concernant la guerre en Ukraine. Mais il y a aussi une conception peut-être plus large de justice internationale qui n’est pas juste dans les sentences de justice pénale internationale, mais d’une justice qui attire d’autres questions aussi. Si on prend cette conception plus large qui est la mienne, il y a bien sûr des avancements et des développements dans le sens de la justice pénale internationale, devant la Cour pénale internationale et aussi des poursuites au niveau national pour des crimes internationaux. Alors, si on passe à la conception plus large, il y a un développement très important qui m’intéresse beaucoup en ce moment qui est la justice climatique internationale. C’est aussi un domaine de droit national et l’international fusionne un peu. Dans ce sens oui les crimes internationaux, c’est du domaine du droit pénal international, mais on voit des poursuites au niveau national. La justice climatique, c’est aussi similaire dans ce point de vue dans le sens où l’on peut avoir des procès de différents litiges au niveau national. Pour les changements climatiques, il y a aussi tout autant un développement au niveau international pour savoir quelles sont les obligations des états au niveau du changement climatique. Il y a eu récemment une demande d’avis consultatif devant la Cour internationale de justice qui a été déposé par l’assemblée générale ; et il y a aussi une demande devant le Tribunal international pour les droits de la mer, encore une fois concernant la question large des changements climatiques. Bien sûr, chacune de ces demandes a des questions très précise, des fois complexes et techniques, mais la thématique large qui rejoint toutes ces demandes c’est les changements climatiques et c’est pour ça que j’appelle ça la justice climatique internationale. Il y a eu aussi une demande d’avis consultatif devant la Cour américaine des droits de l’homme et on parle aussi d’une des discussions au sein du système africain des droits de l’homme ainsi qu’un contentieux à la cour européenne de droits de l’homme. Alors ce sont différentes procédures en parallèle qui sont développées dans ce sens d’une justice internationale. Donc je pourrais dire que peut-être c’est une évolution de voir comment on mobilise la justice internationale pour un sujet qui concerne toute l’humanité, qui est changements climatiques en plus de tout ce qu’on a déjà discuté. 

Vous êtes également fondatrice du laboratoire de justice internationale et des droits fondamentaux et j’ai pu lire que vous cherchez à mettre en place une plateforme technologique spécialisée dans la recension et l’analyse. Qu’est-ce que cet outil-là pourrait apporter à la lutte pour la défense des droits humains et comment ces plateformes technologiques pourraient apporter une plus-value à la protection des droits humains ? 

Ce laboratoire sur des droits humains et de la justice internationale, c’est un laboratoire qui a comme objectif principal de lancer cette plate-forme. Elle vise l’axe des recherches sur les droits humains dans un ordre mondial en changement, et vise aussi à autonomiser les individus et les communautés à vraiment prendre en charge, à mieux soutenir, mieux  comprendre les droits humains. Je l’ai fait en partenariat avec les centres d’expertise numérique en recherche. L’idée ici, c’est de répertorier des décisions, des principes de droits de la personne au Canada. La question de recherche principale, c’est de mieux comprendre l’état des protections des droits humains au Canada. Si on regarde une analyse comparée des différentes lois qui existent dans les provinces, on voit que ce n’est pas toutes les lois qui reconnaissent les mêmes motifs de discrimination. Alors ça c’est une question plus de recherches juridiques pour ce qui concerne la question de comment aider dans la protection des droits fondamentaux. L’idée de cette plate-forme c’est de la lancer au grand public, alors ce sera accessible à tout le monde de manière gratuite et l’idée c’est aussi que ça soit très facile d’utilisation. Les bases de données juridiques sont quand même un peu complexes pour effectuer de la recherche quand on n’est pas formé en droit. Et souvent, on ne peut pas accéder aux décisions ou on accède aux mauvaises décisions. Alors mon équipe a fait un triage de décision la plus pertinente et le grand public pourrait trouver les décisions des principes sur les différents motifs de discrimination plus simplement. Cela pourra aussi aider les individus et les communautés à mieux comprendre leur droit et mieux le faire valoir.

Est-ce que donc vous êtes optimiste vis-à-vis de l’avenir de la justice réparatrice internationale ? 

Alors est-ce que l’avenir est sombre ou pas très sombre sur la justice réparatrice internationale ? Je pense qu’on a fait des gains avec la Cour pénale internationale. Par exemple de différents fonds qu’on peut trouver au niveau international et national pour les réparations. Il y a aussi encore beaucoup de défis pour opérationnaliser les réparations. Si on pense à la Cour pénale internationale, elle a beaucoup de limites ou de défis par rapport au système dont les victimes peuvent recevoir ou demander une réparation. Il faut toujours qu’il y ait un accusé, qui a été trouvé coupable et ce sont juste les victimes de ces criminels qui peuvent demander une réparation. Il y a toutes les questions plus pratiques de pouvoir vraiment matérialisé la condition financière de l’accusé, les différentes sources financières disponibles. En fait, on a beaucoup de défis, mais les premiers pas ont déjà été faits. Je pense que c’est aussi important de penser à ces questions et de pouvoir penser à développer une justice réparatrice conceptualisée.

On soupçonne souvent la CPI d’être très fort avec les faibles et faibles avec les forts, quel est votre regard sur le mandat d’arrêt émis contre Vladimir Poutine ?

Je pense que c’est une bonne chose, je pense qu’on a agi rapidement concernant normalement le temps que ça prend. On peut même voir des arguments en disant que ça pourrait avoir un impact réel. On peut voir différents niveaux de soutien de la communauté internationale et des États membres. Il faut penser à toutes les situations dans un sens aussi, ce n’est pas parce qu’on a eu une belle évolution dans la situation de la Russie qu’il faut oublier qu’il y a d’autres situations sur enquête ou sur examen préliminaire en cours. La Cour devrait aussi se pencher sur toutes les situations de manière la plus équitable et égale possible, les États devraient soutenir la Cour sur tous ses efforts et non seulement sur les efforts d’enquête qui peuvent convenir à leurs intérêts.

Je voulais vous parler aussi du cas du Kosovo qui a fait beaucoup de bruit dernièrement, il y a récemment le Tribunal spécial pour le Kosovo qui va devoir qui a lancé le procès contre des personnes qui sont accusées de crimes de guerre, mais qui au Kosovo sont considérés comme des libérateurs et des héros. Est-ce que cette dualité entre criminels de guerre et héros n’apporte pas une certaine complexité au procès ? Comment expliquer que le procès tienne à La Haye aux Pays-Bas avec des Juges internationaux, mais que ce procès-là soit rattaché à la justice kosovare ? 

Ce n’est pas la première fois qu’on fera ce genre de procès, cela dépend de l’accord qui a été fait. Alors on a ici deux situations qui ne sont pas inhabituelles. La première c’est que ce n’est pas au lieu où les allégations des crimes ont eu lieu, il y a aussi l’idée de raisons peut-être plus pratiques. Le deuxième point c’est la question d’un tribunal qui n’est pas tout à fait international avec des juges internationaux, il y a des juges nationaux et internationaux, on voit d’autres exemples de ce type de tribunal hybride, dont le but ici est quelque chose qui n’est pas complètement internationalisé est de rendre cette justice un peu plus proche des gens de la communauté du Kosovo. Pour la première question des crimes de guerre et les héros alors on voit ça souvent ce type de discours avec les terroristes aussi. Il faut comprendre que ça peut rendre les choses un peu complexes, mais il y a toujours les règles de procédure qui sont établies dans les statuts. Une personne va être condamné pour un crime de guerre si les éléments de preuves sont recueillis et que l’on prouve qu’il a eu un crime de guerre. Il y a toujours tout ce qui se passe dans la communauté, puis il y a aussi ce qui se passe dans un procès juridique. Même si on peut penser que quelqu’un est oui ou non un criminel de guerre, on peut juste dire que la personne est un criminel de guerre si on peut le prouver devant le tribunal. Ça arrive souvent dans les sociétés en transition. Il n’y a jamais une seule façon de voir les conflits armés et par conséquent les personnes qui ont participé dans ces conflits armés.

Il y a beaucoup de personnes dans l’opinion publique qui estiment que c’est très facile de condamner un crime de guerre, alors qu’est-ce qui rend complexe la condamnation d’un crime de guerre ? 

Je comprends les sentiments sauf que la justice surtout pénale ou pénale internationale doit fonctionner par étape. Les crimes de guerre peuvent être complexe à prouver, ça c’est le premier élément, il faut suivre la procédure qui est en place pour ensuite pouvoir émettre un mandat d’arrêt. Ce qui rend les choses plus complexes, c’est qu’il faut prouver. Mais qu’est-ce qu’il faut prouver ? En premiers lieux, il faut prouver qu’il y a eu effectivement un crime de guerre, si on a bombardé par exemple une école ; est-ce que l’école avait des personnes ou est-ce que c’était vraiment un environnement qui était auparavant une école mais qui maintenant ne faisait qu’héberger des armes ? Si on est dans une situation où on pourrait penser à un crime de guerre, on passe là à l’étape des preuves, il faut trouver tous les éléments de différents crimes de guerre. Il faut prouver les différents éléments des crimes de guerre, puis les images ne suffisent pas dans tous les cas.  Même si ça peut prouver quelque chose, il faut aussi regarder si les images prouvent qu’il a eu un bombardement ? Si les images sont authentiques, quelle est leur valeur probante ? Il y a aussi la question de prouver qui a commis ces crimes ? Ce n’est pas juste que les crimes ont été commis, il y a aussi les auteurs de ces crimes et les liens entre cet auteur puis les crimes en tant que tels.