Les Investissements directs étrangers au Nigéria

Découvrez les enjeux complexes des investissements directs étrangers au Nigéria en explorant leur impact sur les droits de la personne dans le secteur pétrolier. Cet essai, rédigé par Jonathan Pigeon, candidat à la Maîtrise en Affaires publiques et internationales et consultant en sélection de sites accompagnant des entreprises internationales dans leur expansion, propose une analyse approfondie des défis que posent ces investissements dans un contexte de développement économique rapide, mais souvent précaire.

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L’Afrique, le nouvel El Dorado de l’investissement direct étranger, a atteint un montant record de 83 milliards de dollars en 2021(CNUCED 2022, 12). Cette courtepointe de richesses et de territoires est devenue le théâtre d’investissement d’entreprises et de multinationales. Bien que les États africains attisent l’appétit des grandes corporations, les nombreux investissements en Afrique soulèvent des questions entourant le respect des droits des populations. Bien que les investissements directs étrangers soient symboles de progrès et de développement économique, certains cas en Afrique en témoignent autrement. 

Dans le tissu économique africain, les investissements directs étrangers (ci-après : IDE) émergent comme des moteurs de croissance, mais derrière cette façade économique se dessinent des réalités complexes. Ces investissements, bien que prometteurs, laissent souvent dans leur sillage des questions cruciales sur les droits de l’Homme. Cette analyse de l’impact des IDE sur les droits de la personne offre un regard critique sur les défis persistants rencontrés par les populations, révélant parfois des conséquences négligées dans un paysage économique en évolution constante.

Les investissements directs étrangers contribuent à la création d’emplois, facilitent l’activité économique et stimulent la croissance d’un pays. Ces stratégies d’attraction d’IDE mise de l’avant par l’État s’opèrent néanmoins aux dépens de conséquences sur l’environnement ou même sur les populations (Ajayi, 2006). Au cours des dernières années, les investissements au Nigeria, cette terre d’accueil réputée pour d’importants IDE dans le secteur pétrolier, ont grandement influencé la dynamique interne, sans toutefois être uniquement des véhicules de croissance.

Le secteur pétrolier nigérian

Installations pétrolières de la compagnie Shell située dans le Delta du Niger, 2005. (© AFP)

Au Nigeria, les IDE ont largement influencé le secteur pétrolier, apportant à la fois des avantages économiques et des défis pour les droits de la personne. Le Nigeria, premier bénéficiaire d’IDE en Afrique de l’Ouest, a vu ses flux doubler pour atteindre 4,8 milliards de dollars, et ce, principalement en raison d’une reprise des investissements dans les secteurs du pétrole et du gaz. Malgré des projets d’investissements majeurs prévus au Nigeria, un nombre de défis sous-jacents auxquels est confronté le pays viennent restreindre son développement. En effet, la corruption, l’instabilité politique, la volatilité du climat économique ainsi que des insuffisances structurelles majeures au niveau électrique représentent des risques importants. Or, le climat d’instabilité politique est exacerbé en raison de conflits et d’affrontements entre les groupes armés tels que Boko Haram, l’État islamique et l’armée nigériane. Au-delà de ces tensions culturelles et religieuses, la présence de compagnies pétrolières visant l’exploitation du territoire afin d’extraire l’or noir des sous-sols nigériens, ajoute de l’instabilité régionale. En interférant dans les relations de pouvoir traditionnelles, les sociétés pétrolières sont perçues comme des forces extérieures qui avec la collaboration du gouvernement s’approprient les richesses et exploitent les terres ancestrales où demeurent les locaux. Rares sont les consultations publiques ou même les compensations, à moins de protestations majeures. Que ce soit après des déversements accidentels ou bien à la suite de l’épuisement des ressources, en raison de contamination des sols, l’exploitation du pétrole dans la région du Delta du Niger a rendu ces terres ancestrales incultivables, en raison des émissions de gaz et d’accidents ; déversements et fuites.

Impacts communautaires et environnementaux

Un agriculteur marche sur la rive marécageuse d’une rivière polluée par des déversements de pétrole à B-Dere, dans le pays ogoni de l’Etat de Rivers, le 23 août 2021. (© PIUS UTOMI EKPEI / AFP)

Les populations localisées aux abords du Delta du Niger sont des populations vulnérables et aux prises d’un niveau de pauvreté si élevé qu’il situe le Nigeria au bas du classement selon les indicateurs de développement humain (Bach 2006, 121). Or, le gouvernement fédéral, lui-même principal bénéficiaire des revenus de l’exportation de pétrole, priorise l’exploitation de ces ressources au détriment des populations locales et de leurs droits socio-économiques (Renouard, 2010). Cette région riche en pétrole est la région du Nigeria générant les revenus les plus élevés au pays, cependant l’exploitation pétrolière affaiblit cette région, car ces opérations endommagent les infrastructures routières, aqueuses, en plus de contaminer les terres.

L’avenir du pétrole au Nigeria

Une étude de 2009 réalisée par Amnistie internationale dénonçait notamment que « les droits économiques, sociaux et culturels des habitants du Delta ont souvent été ignorés ou marginalisés au profit de la production » (Renouard 2010). Bien que les sociétés exploitant le pétrole se soient engagées à fournir des services tels que des écoles, des cliniques, des transports autour des fermes de la région, ce ne sont que quelques actions arbitraires qui ont été réellement effectuées en raison d’un manque de transparence des autorités et d’engagement des partis prenant, suscitant un ressentiment parmi les communautés locales en plus d’accentuer le contexte d’insécurité alimentaire déjà présent. Ainsi, les investissements tant attendus continuent de se faire attendre, car les sociétés exploitant le pétrole depuis plus de 40 ans dans la région n’ont pas fourni les infrastructures promises.

Pollution engendrée par la combustion des gaz issus de la production pétrolière dans le delta du Niger. (© Ogoniland)

Au printemps dernier, à la suite de la parution d’études démontrant que la pollution engendrée par les activités d’extraction multipliait par deux le taux de mortalité néonatale et dégradait la santé des enfants ayant survécu. Shell a notamment déboursé près de 95 millions d’euros en compensation. Ainsi, en mai dernier, un communiqué de presse laisse présager un départ éventuel de la société, par suite de dénonciations de ses activités polluantes et de l’inaction des autorités locales dans le détroit du Niger. « Depuis plusieurs décennies, les déversements d’hydrocarbures dégradent la santé et le mode de vie de nombreux habitant·e·s du delta du Niger. Shell ne devrait pas être autorisée à se débarrasser de ce problème en s’en allant tout simplement.»

Se tourner vers l’avenir.

Cette lueur d’espoir pour les communautés locales s’est concrétisée lors du discours d’investiture du Président nigérien, Bola Tinubu, annonçant le 29 mai 2023, la fin de la subvention au carburant, un des multiples outils d’attraction d’IDE relatifs à l’industrie pétrolière.

« La subvention ne peut plus justifier ses coûts toujours croissants dans le sillage de l’assèchement des ressources. Nous allons plutôt réorienter les fonds vers de meilleurs investissements dans les infrastructures publiques, l’éducation, les soins de santé et les emplois qui amélioreront matériellement la vie de millions de personnes. »

Suivant cette déclaration historique, le 6 septembre dernier, l’entreprise indienne Jindal Steel and Power s’est engagée à injecter 3 milliards de dollars dans le secteur sidérurgique nigérian, alors qu’Indorama Corporation, entreprise singapourienne établie depuis 2006 au Nigeria, prévoit d’investir 8 milliards de dollars supplémentaires pour agrandir ses installations pétrochimiques dans ce pays d’Afrique de l’Ouest. Engendrée depuis 2021, une réforme pétrolière s’opère et un virage vers une diversification d’industries est en branle. Ainsi, malgré de gigantesques réserves de pétrole, le premier exportateur de pétrole africain souhaitant une fiscalité plus encadrée et une meilleure redistribution des richesses, tente de redorer son image face à son lourd passé de corruption.

Situation sécuritaire préoccupante

Cependant, la situation sécuritaire demeure le principal défi pour les investisseurs. Les groupes armés opérant dans la région représentent une menace majeure, perturbant la production en perçant les oléoducs et engendrant des dommages écologiques. De plus, ils perpétuent des enlèvements contre rançon, aussi bien à terre qu’en mer, alimentant ainsi un climat d’insécurité persistant. Cette instabilité a un impact significatif sur les coûts d’exploitation, influençant ainsi les stratégies et les décisions d’investissement. En définitive, bien que le pétrole connaisse un déclin au Nigeria et que les autorités locales prennent davantage de précautions en matière de protection des populations locales, de l’environnement, et porte plus d’attention autour des questions de sécurité alimentaire, de respect des droits des travailleurs et de la protection des infrastructures locales et de la diversification économique, un travail en continu en matière de protection des droits de l’Homme doit être maintenu au Nigéria.

Bibliographie :

Ajayi, S. Ibi. 2006. https://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Knowledge/09484246-FR-FDI-AND-ECONOMIC-GROWTH1-FR-EDIT.PDF

BACH Daniel C, « Nigeria : paradoxes de l’abondance et démocratisation en trompe-l’œil », Afrique contemporaine, 2006/3 (n° 219), p. 119-135. DOI : 10.3917/afco.219.0119. URL : https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine1-2006-3-page-119.htm

CNUCED, 2022. https://unctad.org/system/files/official-document/wir2022_en.pdf

Renouard, Cécile. (2010). Le Nigeria et la malédiction des ressources. Études, 413, 307-318. https://doi.org/10.3917/etu.4134.0307.

Usman, Zainab. 2022. Economic Diversification in Nigeria: The Politics of Building a Post-Oil Economy. Bloomsbury Publishing., Londres. p312 DOI.10.5040/9781350237674.