Image : Jakarta, Indonésie – 10 février 2015 : les résidents de Jakarta traversent une route inondée, plusieurs axes de Jakarta sont inondés après de fortes pluies, Istock.
Stéphane Lefèvre réalise sa maîtrise en science politique et relations internationales à l’Université Libre de Bruxelles. Il est présentement en échange à l’Université de Montréal.
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Les annonces du troisième rapport du Groupe intergouvernemental sur les changements climatiques (GIEC) nous apportent de terribles nouvelles. Selon le GIEC, il ne reste plus que trois ans pour réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, sans quoi il sera impossible de rester sous la barre des 1,5 degrés de réchauffement pour 2100. C’est possible, mais il faut agir en moins de trois ans, avant 2025, sans quoi les conséquences seront irréversibles. Néanmoins, pour les habitants de Jakarta, la capitale indonésienne, l’enfer a déjà commencé.
Chaque jour qui passe à Jakarta, la ville sombre un peu plus sous les eaux. La cité indonésienne, construite au cœur d’un delta et à basse altitude, possède plus de 40% de son territoire en dessous du niveau de la mer et s’enfonce chaque année de 30 centimètres de plus. En effet, les nombreuses constructions de la ville, la réduction des espaces verts capables d’absorber les précipitations, ainsi que l’extraction d’eau illégale dans les nappes phréatiques par la population en manque de cette ressource indispensable, sont tous des facteurs responsables d’un affaissement du sol. Là où l’affaissement territorial fut reconnu pour la première fois en 1989, l’extraction d’eau dans les nappes phréatiques locales n’a été régulée que récemment. À cela s’ajoute le réchauffement climatique et la montée du niveau des mers qui l’accompagne. Tout cela fait de la ville l’une des métropoles mondiales les plus affectées par la montée des eaux.
Aujourd’hui, le gouvernement indonésien basé à Jakarta reconnait l’inhabitabilité de sa capitale et la nécessité de transférer ses activités. C’est pourquoi en 2021, ce dernier a annoncé le déplacement de la capitale administrative du pays dans la province du Kalimantan oriental, sur l’île voisine de Bornéo.
À côté de cela, ce sont surtout les 31 millions d’habitants de l’agglomération de Jakarta qui ne sont pas épargnés. Ces dernières décennies, leurs conditions de vie n’ont fait que se dégrader : la circulation automobile y est dense, le réseau viaire médiocre, la pollution atmosphérique bat des records et le ramassage des ordures peine grandement à suivre le rythme.
Enfin, le problème des inondations récurrentes vient s’ajouter à la situation déjà catastrophique. À titre d’exemple, dans le nord de la ville, dès qu’il y a conjonction entre marée de vives eaux et pluies de mousson, il y a inondation. Or, l’on remarque dans une étude datant de mars 2018 que presque la moitié des répondants d’une communauté côtière (où le niveau de l’eau monte plus rapidement et plus fréquemment) ne sont pas au courant du phénomène d’affaissement de terrain. Néanmoins, ils répondent positivement à la question « ressentez-vous que votre maison coule ? » puisqu’ils en ressentent directement les conséquences.
Pour Jakarta comme pour de nombreuses mégalopoles en voie de développement, la montée des eaux constituera une menace sinistre dans les décennies à venir, aggravant les conséquences déjà subies par les communautés les plus pauvres. Cependant, même si une majorité d’entre eux, comme mentionné plus haut, sont conscients de la réalité de la montée des eaux, beaucoup sous-estiment la gravité du problème. Une étude de 2017 menée sur l’une des communautés les plus pauvres de Jakarta, protégée de la mer uniquement par une digue de béton, montre que la grande vulnérabilité de ces habitants aux inondations les mène à sous-estimer leur gravité future ainsi que leurs dangers. En effet, les habitants sont habitués aux crues et celles-ci font partie de leur quotidien, ce qui mène à une minimisation du phénomène et de sa future aggravation.
Quant à la nouvelle capitale Nusantara, située sur l’île de Bornéo, le projet encadrant sa construction ne fait pas l’unanimité. En effet, de nombreux environnementalistes dénoncent la déforestation que la construction de cette ville risque d’engendrer, bien que la nouvelle cité se revendique « zéro émission ». Ce sont en effet plus de 256 milliards d’hectares qui ont été réservés aux alentours pour un coût de déménagement de 33 milliards de dollars. Soulignons enfin que Jakarta n’est pas l’unique capitale délaissée puisque la Malaisie a déménagé sa capitale à Putrajaya en 2003, tandis que la Birmanie a choisi Naypyidaw en 2006.